Visite à l'atelier

  Mercredi 27 novembre me voilà à la Porte Caffarelli à l'entrée de l'arsenal de Brest pour que l'on me donne un laissez-passer contre carte d'identité et papiers de la voiture. J'étais impressionnée de rentrer pour la première fois dans cette zone que je regardais toujours de loin. L'atelier est dans le même bâtiment que le salon de l'habillement que je repère assez vite à cause d'une activité intense à 8H45 du matin. Les militaires viennent se servir en vêtement en tout genre. Essayage et atelier de retouche et repassage... C'est au niveau de la porte de la grande rivière et en face du bâtiment des pompiers. J'arrive dans un couloir à au deuxième étage rempli d'uniformes en tout genre (enfin bleu marine) sur un portant.







  Je rencontre Gérald Février le Maître Tailleur dans son bureau et Carine Breton son bras droit et responsable de production à Brest pour un entretien. Mr Février est maître tailleur depuis 21 ans à Toulon et depuis quelques années à Brest au départ en retraite de son prédécesseur Mr Paul Sourrouille. Il est en alternance tous les 15 jours entre Brest et Toulon et entre chez lui à Troyes le week-end! Mme Breton travaille depuis 2008 à l'atelier après une école supérieure de l'industrie du vêtement et des expériences en entreprise dans la France entière. Elle est venue à la couture parce qu'elle cousait des vêtements à ses poupées avec sa mère. Mr Février explique que ça a été un hasard pour lui parce qu'il n'était pas bon en maths à l'école et que de fil en aiguille il a fait son trou dans a profession. Son métier a été créé après la première guerre mondiale pour donner du travail aux veuves et orphelines de guerre avec un travail à domicile avec du matériel personnel. Au début des années 50 les ateliers ont été créés (en 1953 à Brest) avec une moitié du personnel sédentaire et une autre à la maison jusqu'en 1993 à Toulon la dernière personne à travailler à domicile dû choisir entre un départ à la retraite ou une sédentarisation.











  A Brest on fabrique les pièces à manches (vestes, manteaux) ainsi que des pantalons, vêtements de travail pour les pompiers et des pavillons. A Toulon, c'est les chemises. Avec aujourd'hui 25% de vêtements de femme, 200 pièces par jour et 800 à Toulon.
Mr Février évoque la disparition des métiers ouvriers (boulangers, maitres tailleurs etc.) dans l'armée en 2015, il n'y aura plus de concours de recrutement. L'argument est la réduction des dépenses. En ce qui concerne les vêtements c'est la mondialisation de la concurrence qui fait qu'un atelier de confection en France ne peut rivaliser avec un atelier dans les pays de l'est, au Maghreb ou au Bengladesh. Notre production est de très haute qualité mais on produit une chemise à 20 euros alors qu'en Asie on les trouve à 3 euros. L'atelier est donc voué à une mort lente. Il n'y a plus aucun recrutement et la moyenne d'âge du personnel est de 50 ans.






 Il y a pourtant un service qui ne pourra pas être externalisé c'est le service à la personne pour du sur-mesure pour de petites quantités, voir uniques : tailles exceptionnelles, galonnage, broderies, pochettes de mécaniciens. Mais à leur plus grande déception, on leur a retiré cette année la fabrication du bonnet de marin appelé encore bachi. Cet objet symbolique n'est plus fabriqué dans la tradition. Lors du tour dans l'atelier, les deux déléguées du personnel le déplorent. Elles me parlent de la notoriété du pompon, utilisé même dans la chocolaterie par le chocolatier brestois Histoire de chocolat. Elle me décrivent la fabrication et m'offrent un pompon.
Un savoir-faire unique en France qui va disparaître.























  C'est nous qui recrutons les employées : mécanicienne de confection (couturière) ou coupeur pour les hommes. Le plus haut grade étant celui de maitre tailleur. Il a toujours été un homme mais il aurait pu être une femme car les critères du concours de font pas état du sexe.






















  Le commissaire des armées envoie les modèles à réaliser avec les patrons aux tailles informatisés. Les ateliers sont parfois consultés pour assister les patronniers gradueurs pour mettre au point les modèles. Mr Février se souvient d'un défilé organisé à Toulon avec Mr Sourrouille le Maître Tailleur de l'époque à Brest. La matière première est livrée en conséquence et le Maître Tailleur gère les demi-produits (boutons, fils etc.) et doit respecter une fiche technique par modèle.




  Les vêtements sont stockés dans les réserves des salons où ils sont distribués aux marins.








  Nous avons aussi des commandes exceptionnelles comme des nappes de table de bridge. Nous avons quelques clients extérieurs bien que l'armée n'aime pas ça. Je fabrique à Toulon les chemises de la garde de la principauté de Monaco. A Brest on fabrique sur mesure les Spencers, veste courte croisée avec pantalon avec bande or et les jupes longues, tenues des étudiants de l'Ecole Navale pour le bal de fin d'année. Arrive Olivier, tailleur, qui s'occupe du sur-mesure. Il me montre son travail sur ordinateur. Il a le mètre à ruban autour du cou et une énorme paire de ciseaux. Il aime son métier qu'il ne considère pas comme monotone.





  Les militaires ne sortent plus en ville en tenues, c'est dommage.
Je montre la photo des années 60 que Céline m'a donnée à Béatrice, une mécanicienne qui a 37 ans d'ancienneté. Elle reconnaît Véro? Mais pas l'homme. Elle pense que c'est un événement festif car les filles n'ont pas leurs blouses. Les maitres tailleurs qu'elle a connus : Mr Morvan père et fils, Mr Amidon? Mr Sourouille. Premiers départs en 1990 avec des congés parentaux, des départs à la retraite, premier plan social en 1999, départs à la retraite anticipés dits "la valise". Il a peu de changement les femmes restent jusqu'en fin de carrière. Les employées de Toulon ont lancé une procédure pour faire reconnaître leur métier au statut d'ouvrier d'état. Le tribunal administratif s'est déclaré incompétent, l'affaire doit aller au conseil d'état. Si l'atelier ferme le métier disparaît aussi, il n'y aura donc pas de reclassement et il faudra sûrement être mobile.

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