Visite chez une piqueuse-mécanicienne

  Jocelyne Trébaol habite à Plouzané. Elle m'a reçu chez elle pour me parler d'une période de sa vie à l'Atelier du Maître Tailleur.

  Jocelyne a commencé à travailler à l'atelier en 1971 à 19 ans. Après une formation de couture "petites séries" à Kerichen, elle travaille dans l'entreprise Empreinte (sous-vêtements). Puis son père qui travaillait à l'Arsenal l'inscrit à l'Atelier pour faire un essai. L'essai concluant, elle embauche, le vendredi pour le lundi. A l'époque, il y avait du travail tout le temps, ce n'est plus comme maintenant. La première semaine est une semaine de formation, sans contraintes de rendement. Après, ce n'est plus pareil, si on ne suit pas, on déduit du salaire les insuffisances. Mais le rythme est confortable par rapport à son précédent travail. L'ambiance est bonne. Il est vrai que parfois, forcément sur le nombre de filles, il y a des histoires.

  Elle embauche le matin à 8H45 avec une pause le midi et sort le soir à 16H04. Le midi, elle mange au restaurant ouvrier de l'Arsenal la Gueule d'or ou un casse-croûte dans sa voiture. Elle a des pauses café de 10 mn le matin et l'après-midi dans une salle pour les fumeurs. Le soir elle doit nettoyer son poste et couvrir sa machine. Les femmes enceintes avaient le droit de partir 5 minutes avant les autres pour ne bas se trouver dans la cohue et risquer de tomber dans les escaliers. La semaine de travail est de 44 à 45 heures avec une demi-heure le vendredi soir pour nettoyer et graisser sa machine. La veille des vacances elle pouvait partir une heure en avance.


Elle commence au col marin qui est une pièce que l'on boutonne au col à la vareuse en serge


  Les conditions sont vraiment bonnes et le patron est conciliant. Les postes sont dédiés aux taches à effectuer en fonction de la partie du vêtement à coudre. Elle porte une blouse qu'on lui donne chaque année, sa paire de ciseaux personnelle et son "marron". Un jeton en métal troué au centre qui porte un numéro. Elle possède le 252. Le marron est accroché au marronnier et le matin quand on arrive on le prend avec soi. Le soir en sortant on le raccroche. Une manière de pointer commune à tous les employés de l'Arsenal.
  L'atelier étant sous les toits, hiver comme été il fait très chaud -en été jusqu'à 35°C. Il y a de la musique dans tout l'atelier. Ce sont les secrétaires qui apportent des cassettes de chansons de l'époque compilées. Il y a même de la musique douce l'après-midi.


Elle fait les pantalons de sortie à pont (avec boutons), en laine et polyester, des pantalons de travail en toile de jean...
















  Elle aime faire les poches passepoilées car c'est un travail minutieux. Elle se souvient avoir aussi fait des vêtements beiges et marrons pour l'été (peut-être pas pour la marine) et quelques jupes de femme et des vêtements sur mesure. Elle n'a jamais cousu de caban pourtant la spécialité de l'atelier de Brest. 
  Elle change de poste à chaque retour de congé maternité, suivant les besoins. 
  En 1971, il y avait 260 employés, à 90% des femmes, les hommes sont des mécaniciens ou dans les bureaux, le Maître Tailleur s'appelle Mr Morvan (fils). La moyenne d'âge des employés est de 30 ans environ. Il y a les ouvriers, les chefs d'équipe et le Maître Tailleur. La représentation syndicale est menée par la CFDT. Jocelyne n'est pas syndiquée et est obligé de demander directement au patron un avancement au vue de son ancienneté car les déléguées du personnel font passer en priorité les employées appartenant au syndicat.

  On lui confie à piquer un paquet de tissus découpé à l'étage en dessous. A l'époque la coupe se fait à la main et les dames sont obligées de monter sur des épaisseurs pour tasser le tissu et le tailler d'après patrons. Les patrons sont en carton beige et pendent au mur. La pièce cousue, elle tombe dans une caisse. Puis Jocelyne récupère le paquet et le pousse au poste suivant. C'est lourd à pousser. Au bout de la chaîne avant le repassage et le pliage, il y a le contrôle. Le paquet de celle qui ne font pas correctement leur travail revient. C'est source d'engueulades. Jocelyne signe donc de ses initiales l'intérieur du vêtement. Les piqueuses sont habituées à leurs machines, rapides, des Pfaff ou Bauer. Elles savent les régler. Lors d'une panne le mécanicien vient réparer mais si la machine est trop malade, elles en changent. Une nouvelle machine est du temps de perdu. Il faut le temps de la roder et de se roder. Jocelyne se s'est jamais blessé mais elles se souvient qu'à la machine qui coud les boutons lorsque l'aiguille tombe d'un coup plusieurs filles ont eu le doigt piqué de part en part sans pouvoir le retirer. Ça criait! On appelle alors au secours les marins pompiers qui sont juste en face du bâtiment. Elle se plaint tout de même aujourd'hui de raideur dans les avant-bras. Elle connaît des femmes qui ont eu des tendinites, la maladie de la couturière avec le mal de dos.

  Le 25 novembre c'est la Sainte Catherine, on fait la fête. Les employées arrêtent le travail dans l'après-midi pour fêter la ou les catherinettes avec un goûter. Le patron noue autour du coup de la jeune fille le ruban du chapeau confectionné par ses collègues et l'embrasse.


Sur la photo Jocelyne est au fond à gauche


  Le chapeau suggère un thème qui évoque l'amour : Venise, des scènes amoureuses tirées de romans célèbres ou du répertoire théâtral...

La catherinette n'a pas le choix elle doit y passer. Sur cette photo prise en 1971, Le Maître Tailleur Joseph Morvan est entouré de Danièle et Nicole.



  Jocelyne a sorti d'une boîte à chaussure une photo de 1974 de Marie-Thérèse Bégoc, qui déballe son cadeau.




  Cette dame qui a travaillé jusqu'à sa retraite à l'Atelier. Elle a toujours habité à Plouzané dans la maison de ses parents qui sont décédés maintenant. Jocelyne me propose de prendre contact avec elle. Elle est toujours célibataire et j'aimerais savoir si elle a conservé son chapeau. Ces images ont sûrement été prises par un photographe de la préfecture maritime que l'on a fait venir. Jocelyne se souvient avoir commandé et acheté la photo souvenir.

  Jocelyne s'est mariée à 22 ans. Après les congés de maternité de ses deux fils, elle reprend le travail mais à l'arrivée de sa fille, son troisième enfant, elle s'arrête en 1982. A l'époque c'était souvent chez les employées, c'était rare que l'une d'elles continue avec plusieurs enfants. Pour son premier enfant le congé parental n'existait pas, pour son deuxième, elle obtient deux mois et pour sa fille, la dernière, elle a droit à six mois. Un avantage que les ouvrières obtiennent à l'issue de plusieurs grèves en 1978, 1979. Elle se souvient que l'année 1979 est une année de mouvements sociaux. Mais le statut des ouvrières n'est pas le même que chez DCN, c'est une entreprise privée, on ne pouvait pas prendre sa retraite au bout de 15 ans avec trois enfants. Parfois elle regrette de ne pas avoir continué à travailler. Elle a élevé ses enfants.

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